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Conscience et lutte de classe.
T. Thomas

- l'ouvrage présenté ici comporte 80 pages et vous sera adressé sur simple demande en format zip compressé -

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INTRODUCTION



Dans mon dernier ouvrage, « La crise chronique, ou le stade sénile du capital » , j’ai montré que le capital a atteint cet âge sénile où, globalement, son accumulation ralentit sérieusement, voire stagne dans une sorte de décrépitude chronique, entrecoupée de brèves phases de « reprises » suivies aussitôt de « krachs » de plus en plus violents. Cela pour avoir accompli l’essentiel de ce que son rôle historique avait de positif pour l’humanité : développer les sciences et les techniques de telle sorte que les hommes peuvent produire de plus en plus de richesses et satisfaire des besoins de plus en plus variés tout en fournissant de moins en moins de travail contraint, déplaisant, grâce à des machines de plus en plus efficaces, dont les performances productives ont particulièrement explosé au cours du demi-siècle dernier. Mais, c’est paradoxalement ce positif, cet extraordinaire niveau atteint par la productivité dans la production de masse qui est au cœur de la crise actuelle , qui s’avère négatif pour le capital et son monde.

Comprendre cela, c’est comprendre le scandale qui le condamne. Ce qui devrait être le moyen de libérer l’humanité aussi bien de la pauvreté que de la malédiction du travail contraint, qui répugne, enchaîne et divise, est, sous la domination du capital, source de catastrophes de plus en plus gravissimes, l’amène à détruire de plus en plus d’hommes et jusqu’à, peut-être, la planète toute entière. Plus la production de richesses devient abondante, variée, moins elle réclame de sueur et de peines, et plus le capital engendre de misère, de chômage, de morts, de destructions, comme nécessités pour produire quand même, coûte que coûte, du profit. Le scandale a donc une cause purement sociale, celle d’un rapport social, la propriété privée des conditions de la production, ou, c’est évidemment identique, leur non propriété pour la masse, immensément majoritaire, des prolétaires . La première évidente conclusion est donc que le scandale peut être aboli par la condamnation du capital à la peine capitale, et son exécution.

La deuxième s’en suit immédiatement. Elle a découle de ce fait que la cause profonde de la crise actuelle ne laissait pas aux fonctionnaires du capital d’autre alternative que l’abaissement absolu, et pas seulement relatif, des coûts salariaux des prolétaires employés, tout en aggravant leurs conditions de travail et en augmentant parallèlement (ce sont bien sûr des phénomènes complémentaires) la précarité et le chômage. Ils doivent agir en ce sens, c’est une obligation, pas une question de morale (corruption, spéculation, magouilles et fraudes diverses ne sont, quelles que soient les sommes en jeux, que l’écume du monde capitaliste, en même temps que parfaitement conformes aux comportements d’accaparement qui lui sont inhérents). Comprendre qu’il s’agit bien d’une obligation pour le capital, et non d’un choix politique « libéral » auquel pourrait s’opposer un autre choix « social » dans le cadre du capitalisme, est un point essentiel, qui doit amener des prolétaires de plus en plus nombreux à se séparer, à juste titre, de leurs faux amis de la gauche. Ceux-la prétendent que la crise ne serait due qu’aux exagérations d’un capital financier démesurément grossi, échappant aux contrôles démocratiques des Etats parce que mondialisé, et parce que ceux-ci, de surcroît, aux mains de politiciens « libéraux », auraient sciemment « abandonné » leurs pouvoirs sur le capital. Selon cette analyse superficielle, pire, mystificatrice en ce qu’elle mythifie l’Etat, une autre politique serait donc possible pourvu que ce même Etat soit entre leurs mains expertes, et devienne alors ce qu’il devrait soi-disant être dans l’idéologie bourgeoise : un Etat au service de l’intérêt général, qui saurait étouffer les mauvais côtés du capital tandis que ses « bons » côtés seraient développés, en même temps qu’il assurerait une « juste répartition » de la croissance des richesses entre profits et salaires.

Croissance des profits et croissance de la masse des salariés, et même seulement des salaires, c’est ce dont, entre autres contradictions, la crise indique que l’antagonisme est devenu absolu. Et c’est bien pourquoi d’ailleurs partout et chaque fois que la dite gauche parvient au pouvoir, elle est obligée, quelle que soit – soyons très charitable – l’éventuelle sincérité de tel ou tel de ses dirigeants dans la volonté d’améliorer le sort du peuple, de faire le contraire . C’est que non seulement le capital ne peut pas exister sans l’exploitation des prolétaires, mais que même il ne peut plus aujourd’hui leur accorder quelques miettes de ses gains comme, par exemple, pendant l’époque des dites « trente glorieuses » (la guerre ayant alors créé les conditions d’une nouvelle phase d’accumulation dite « fordiste » où de forts gains de productivité dans les pays développés y permettaient une croissance à la fois des profits, de l’emploi et du pouvoir d’achat). La surproduction de capital entraîne qu’une masse de plus en plus grande d’argent ou de moyens de production ne trouve plus à s’employer comme tel, c’est à dire à se valoriser dans un procès réellement productif de plus-value, qu’en éliminant du circuit autant ou plus de capitaux qu’il n’en est investi de nouveaux . En face d’une masse énorme de capitaux, dont une part de plus en plus grande se stérilise sous forme de capital financier, un capital qui, quoi que fictif, absorbe néanmoins une part de la plus-value globale, il y a ce prolétariat de plus en plus précarisé, désœuvré, paupérisé jusqu’à la famine quand ce n’est pas massacré par quelques guerres impérialistes comme en Yougoslavie, en Palestine ou en Irak ; mais aussi prolétariat massif, « mondialisé », déraciné partout des ruralités archaïques et conservatrices en étant précipité dans d’immenses concentrations urbaines, banlieues misérables, favellas et bidonvilles. Face à cette aggravation des antagonismes, les fonctionnaires du capital, qu’ils soient de gauche ou de droite, n’ont plus de « grain à moudre », de miettes à distribuer pour tenter de les aplanir. Ils n’ont plus, pour maintenir la domination et la reproduction du capital, que des moyens coercitifs. Il y a l’utilisation de la concurrence entre prolétaires et de la peur du chômage pour briser les résistances, exciter le chacun pour soi et, au delà, les nationalismes. Il y a, et de plus en plus, le renforcement des opérations de police, l’emprisonnement massif des pauvres, et ces guerres impérialistes permanentes du capital mondialisé. Et, pour justifier le tout, il y a la mainmise absolue sur les médias et l’intensification du bourrage de crâne.

Ce constat de la situation, des causes et des effets de la crise, amène à la troisième conclusion. Elle est que ce niveau de développement de la puissance productive qui en est le fondement n’est pas seulement le facteur de calamités. Il l’est pour les sociétés actuelles fondées sur les rapports d’appropriation capitalistes qui deviennent antagoniques à ce développement. Mais il est aussi la réalisation de conditions permettant l’avènement d’un autre type de société. Une société fondée sur le travail qualitativement riche, donc une communauté d’individus échangeant directement et librement leurs travaux, d’individus directement sociaux au lieu de l’être par l’intermédiaire de puissances hors d’eux, l’argent, la « main invisible » du marché, l’Etat. Pour mémoire rappelons les deux principales de ces conditions objectives :

- « L’abondance » que permet l’efficacité productive. C’est à dire non pas la production illimitée de n’importe quoi, mais la possibilité d’être libéré des travaux harassants, vulgaires, ou même étroitement limités à une spécialité de détail, vides ou pauvres de contenu artistique ou intellectuel. Autrement dit encore, le temps disponible pour que chacun puisse se développer à travers des travaux riches de ce contenu supérieur, source de jouissances supérieures et du développement des uns par les autres dans l’échange libre et gratuit de qualités. Ce n’est que sur de telles bases que tous peuvent participer à la gestion maîtrisée de leurs rapports, de la société.

- L’existence d’un vaste prolétariat mondial, individus de plus en plus dépouillés de toute propriété des conditions et moyens de leur existence par le pôle du capital, et donc obligés par lui à lutter contre lui pour leur vie. D’abord ils résistent à ses « empiétements », tentent de lui arracher quelques concessions, de maintenir plus ou moins les « acquis », et de sauver leur peau en ordre dispersé. Mais tout cela n’est que reculer pour obtenir encore pire plus tard. L’analyse de la crise du capitalisme comme l’observation de ses actes quotidiens nous disent que la question est aujourd’hui à nouveau communisme ou barbarie (cela bien que le mot communisme soit difficile à employer de façon compréhensible tant il a été galvaudé !). Il faut détruire le capital, mais pour cela il faut s’en donner les moyens, parmi lesquels la conscience de cette nécessité et des buts à atteindre.

C’est cette question, aussi vieille que le mouvement communiste, et même plus, qui va être discutée dans cet ouvrage. Il s’agit d’examiner comment les prolétaires peuvent passer de luttes défensives, et plus ou moins dispersées, de résistance contre leur exploitation accrue, à une lutte de classe commune offensive pour détruire le capital, c’est à dire pour le communisme. Ou encore, ce qui est la même chose, comment ils peuvent se constituer en classe indépendante posant et accomplissant ses propres buts : sa destruction, donc celle de son autre face, la bourgeoisie.

Il est certain que les prolétaires vont être obligés de donner une grande ampleur à leurs luttes dans les années à venir du fait de l’aggravation tout aussi certaine de leurs conditions de vie, même dans les pays les plus développés. Mais on sait aussi qu’elles peuvent prendre deux grandes directions opposées. Soit celle de s’en remettre à l’Etat (éventuellement plus ou moins européen pour les pays concernés) – et donc à « son » capital et à ses fonctionnaires – d’assurer une meilleur situation à la Nation et son peuple. On sait que c’est une telle orientation de type nationaliste-étatiste qui a conduit, autrefois, aux fascismes , et, d’une façon plus générale aux guerres. Soit celle de lutter contre l’Etat bourgeois, pour le détruire afin que le prolétariat s’assure lui-même des conditions de la production de sa vie et de la société (détruise l’appropriation privée de ces conditions).

Ces deux grandes directions ne sont pas des idées venues de nulle part. Nous montrerons que les idées qui les expriment ont toutes des bases objectives, dans les rapports sociaux du capitalisme. L’idéologie étatiste-nationaliste (interclassiste) est un développement des divers « fétichismes » induits par ces rapports. Tandis que la conscience révolutionnaire communiste plonge ses racines dans la perception des causes de l’exploitation capitaliste et des conditions objectives réalisées par le capitalisme lui-même d’une possible autre société (de possibles autres rapports sociaux).

La réalisation des conditions subjectives d’une lutte du prolétariat dans cette voie révolutionnaire semble donc opposer conscience et fétichismes, idées justes et idées fausses des causes, et donc des solutions qui en découlent dans une situation historique déterminée. Mais comment la conscience de la réalité de ces causes et conditions peut-elle se faire jour alors justement que le monde de l’apparence des phénomènes, les formes phénoménales que prennent les rapports sociaux capitalistes dans leurs manifestations immédiates et spontanément visibles, induisent, inéluctablement, les fétichismes (et cela sera rappelé dès le premier chapitre de cet ouvrage) ? Nous verrons que la conscience ne peut pas être un préalable, posée toute constituée face aux fétichismes qui sont la base de l’idéologie bourgeoise, dominante, dont les prolétaires n’auraient qu’à s’emparer. Mais qu’elle ne se développe que dans la lutte classe contre classe qui dévoile progressivement à une masse toujours plus grande de prolétaires les racines du capital et de la société bourgeoise comme catastrophes, et pourquoi il est possible de les éradiquer. Autrement dit nous verrons que seule la lutte pratique réelle contre le capital fait progresser le prolétariat dans ce mouvement d’éradication des fétichismes et, parallèlement, d’élévation de la conscience. Et nous verrons alors que cette lutte, de même que l’élévation de la conscience, nécessitent le moyen d’un Parti de la classe. Cette nécessité sera réaffirmée dans ses principes généraux malgré – ou plutôt à cause de – toutes les critiques violentes et tonitruantes, qui ont été élevées à l’état de dogme indiscutable, à l’encontre de l’idée de Parti, et qu’il convient de combattre. Il s’agissait notamment pour la bourgeoisie, et il s’agit toujours, de profiter des terribles erreurs et crimes du stalinisme, commises à l’aide de Partis transformés en appareils d’encadrement bureaucratique, policier, et d’abrutissement idéologique du prolétariat, afin d’essayer de lui ôter toute volonté de se reconstruire comme classe indépendante à travers une lutte révolutionnaire organisée et lucide.





[AVERTISSEMENT : Les citations de Marx figurant dans cet ouvrage sont tirées, sauf indication contraire, des Editions Sociales, nommées E.S., et, pour celles du Capital, chiffrées I, II, III, IV pour les Livres, 1, 2, 3, pour les tomes. Elles ne sont pas là comme argument d’autorité (bien que Marx soit une évidente autorité), ni comme une référence prudente à une quelconque orthodoxie, mais tout simplement utilisées quand Marx exprime mieux que quiconque une idée utile à mon propos. Que cela arrive souvent n’est dû qu’au génie particulier de celui-ci.]