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EPICURE -341 -270

Maximes capitales


I. Ce qui est bienheureux et incorruptible n’a pas soi-même d’ennuis ni n’en cause à un autre, de sorte qu’il n’est sujet ni aux colères ni aux faveurs ; en effet, tout cela se rencontre dans ce qui est faible.

II. La mort n’a aucun rapport avec nous ; car ce qui est dissous est insensible, et ce qui est insensible n’a aucun rapport avec nous.

III. La suppression de tout ce qui est souffrant est la limite de la grandeur des plaisirs. Et là où se trouve ce qui ressent du plaisir, tout le temps qu’il est, là n’est pas ce qui est souffrants, affligé, ou les deux.

IV. Ce qui, dans la chair, est continuellement souffrant, ne dure pas ; en fait, sa pointe extrême est présente un très court instant, tandis que ce qui, dans la chair, est seulement en excès par rapport à ce qui éprouve le plaisir, se trouve concomitant peu de jours ; et dans le cas des maladies chroniques, ce qui dans la chair ressent du plaisir l’emporte sur ce qui est souffrant.

V. Il n’est pas possible de vivre avec plaisir sans vivre avec prudence, et il n’est pas possible de vivre de façon bonne et juste, sans vivre avec plaisir. Qui ne dispose pas des moyens de vivre de façon prudente, ainsi que de façon bonne et juste, celui-là ne peut pas vivre avec plaisir.

VII . Certains ont voulu devenir réputés et célèbres, se figurant qu’ainsi ils acquerraient la sécurité que procurent les hommes ; en sorte que, si la vie de tels hommes a été sûre, ils ont reçu en retour le bien de la nature ; mais si elle n’a pas été sûre, ils ne possèdent pas ce vers quoi ils ont tendu au début, conformément à ce qui est le propre de la nature.

VIII . Nul plaisir n’est en soi un mal ; mais les causes productrices de certains plaisirs apportent de surcroît des perturbations bien plus nombreuses que les plaisirs.

IX. Si tout plaisir se condensait, et s’il durait en même temps qu’il était répandu dans tout l’agrégat, ou dans les parties principales de notre nature, les plaisirs ne différeraient jamais les uns des autres.

X . Si les causes qui produisent les plaisirs des gens dissolus défaisaient les craintes de la pensée, celles qui ont trait aux réalités célestes, à la mort et aux douleurs, et si en outre elles enseignaient la limite des désirs, nous n’aurions rien, jamais, à leur reprocher, eux qui seraient emplis de tous côtés par les plaisirs, et qui d’aucun côté ne connaîtraient ce qui est souffrant ou affligé, ce qui est précisément le mal.
XI . Si les doutes sur les réalités célestes ne nous perturbaient pas du tout, ni ceux qui ont trait à la mort, dont on redoute qu’elle soit jamais quelque chose en rapport avec nous, ou encore le fait de ne pas bien comprendre les limites des douleurs et des désirs, nous n’aurions pas besoin de l’étude de la nature.

XII . Il n’est pas possible de dissiper ce que l’on redoute dans les questions capitales sans savoir parfaitement quelle est la nature du tout –au mieux peut-on dissiper quelque inquiétude liée aux mythes ; de sorte qu’il n’est pas possible, sans l’étude de la nature, de recevoir en retour les plaisirs sans mélange.

XIII. Il n’y a aucun profit à se ménager la sécurité parmi les hommes, si ce qui est en haut reste redouté, ainsi que ce qui est sous terre et en général ce qui est dans l’illimité.

XIV . Si la sécurité que procurent les hommes est due jusqu’à un certain degré à une puissance bien assise et à l’abondance, la plus pure des sécurités st celle qui vient de la tranquillité, et de la vie à l’écart de la foule.

XV . La richesse de la nature est à la fois bornée et facile à atteindre ; mais celle des opinions vides se perd dans l’illimité.

XVI . Faiblement sur le sage la formule s’abat : le raisonnement a ordonné les éléments majeurs et vraiment capitaux, et tout au long du temps continu de la vie les ordonne et les ordonnera.

XVII . Le juste est le plus à l’abri du trouble, l’injuste est rempli par le plus grand trouble.

XVIII . Dans la chair, le plaisir ne s’accroît pas une fois que la douleur liée au besoin est supprimée, mais varie seulement. Mais pour la pensée, la limite qui est celle du plaisir naît du décompte de ces réalités mêmes, et de celles du même genre, qui procurent les plus grandes peurs à la pensée.

XIX . Un temps illimité comporte un plaisir égal à celui du temps limité, si l’on mesure les limites du plaisir par le raisonnement.

XX . La chair reçoit les limites du plaisir comme illimitées, et c’est un temps illimité qui le lui prépare. De son côté, la pensée, s’appliquant à raisonner sur la fin et la limite de la chair, et dissipant les peurs liées à l’éternité, prépare la vie parfaite – ainsi nous n’avons plus besoin en quoi que ce soit du temps illimité ; mais elle ne fuit pas le plaisir, et pas davantage, lorsque les circonstances préparent la sortie de la vie, elle ne disparaît comme si quelque chose de la vie la meilleure lui faisait défaut. XXI . Celui qui connaît bien les limites de la vie sait qu’il est facile de se procurer ce qui supprime la souffrance due au besoin, et ce qui amène la vie tout entière à sa perfection ; de sorte qu’il n’a nullement besoin des situations de lutte.

XXII . faut s’appliquer à raisonner sur la fin qui est donnée là, et sur toute l’évidence à laquelle nous ramenons les opinions ; sinon, tout sera plein d’indistinction et de trouble.

XXIII . Si tu combats toutes les sensations, tu n’auras même plus ce à quoi tu te réfères pour juger celles d’entre elles que tu prétends être erronées.

XXIV . Si tu rejettes purement et simplement une sensation donnée, et si tut ne divises pas ce sur quoi l’on forme une opinion, en ce qui est attendu et ce qui est déjà présent selon la sensation, les affections et toute appréhension imaginative de la pensée, tu iras jeter le trouble jusque dans les autres sensations avec une opinion vaine, et cela t’amènera à rejeter en totalité le critère. Mais si tu établis fermement, dans les pensées qui aboutissent à une opinion, aussi bien tout ce qui est attendu que tout ce qui n’a pas de confirmation, tu ne renonceras pas à l’erreur, si bien que tu auras supprimé toute possibilité de discuter ainsi que tout jugement sur ce qui est correct et incorrect.

XXV . Si en toute occasion tu ne rapportes pas chacun de tes actes à la fin de la nature, mais tu te détournes, qu’il s’agisse de fuir ou de poursuivre, vers quelque autre chose, tu n’accorderas pas tes actions avec tes raisons.

XXVI . Parmi les désirs, tous ceux qui ne reconduisent pas à la souffrance s’ils ne sont pas comblés, ne sont pas nécessaires, mais il correspondent à un appétit que l’on dissipe aisément, quand il semblent difficiles à assouvir ou susceptibles de causer un dommage.

XXVII . Parmi les choses dont la sagesse se munit en vue de la félicité de la vie tout entière, de beaucoup la plus importante est la possession de l’amitié.

XXVIII . C’est le même jugement qui nous a donné confiance en montrant qu’il n’y a rien d’éternel ni même d’une longue durée à redouter, et qui a reconnu que la sécurité de l’amitié, dans cela même qui a une durée limitée, s’accomplit au plus haut point.

XXIX . Parmi les désirs (non nécessaires), les uns sont naturels et non nécessaires, les autres ne sont ni naturels ni nécessaires mais proviennent d’une opinion vide.

XXX . Parmi les désirs naturels qui ne reconduisent pas à la souffrance s’ils ne sont pas réalisés, ceux où l’ardeur est intense sont les désirs qui naissent d’une opinion vide, et ils ne se dissipent pas, non pas en raison de leur propre nature, mais en raison de la vide opinion de l’homme.

XXXI . Le juste de la nature est une garantie de l’utilité qu’il y a à ne pas se causer mutuellement de tort et de ne pas en subir.

XXXII . Pour tous ceux des animaux qui ne pouvaient pas passer des accords sur le fait de ne pas causer de tort, mais également de ne pas en subir, pour ceux-là rien n’était juste ni injuste ; et il en allait de même pour ceux des peuples qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas passer des accords sur le fait de ne pas causer de tort et de ne pas en subir.

XXXIII . La justice n’était pas quelque chose en soi, mais dans les groupements des uns avec les autres, dans quelque lieu que ce fût, à chaque fois, c’était un accord sur le fait de ne pas causer de tort et de ne pas en subir.

XXXIV . L’injustice n’est pas un mal en elle-même, mais elle l’est dans la crainte liée au soupçon qu’elle ne puisse rester inaperçue de ceux qui sont chargés de punir de tels actes.

XXXV . Il n’est pas possible que celui qui, en se cachant, commet ce que les hommes se sont mutuellement accordés à ne pas faire, afin der ne pas causer de tort ni en subir, soit certain que cela restera inaperçu, même si à partir de maintenant cela passe dix mille fois inaperçu, même si à partir de maintenant cela passe dix mille fois inaperçu ; car jusqu’à sa disparition, il n’y a nulle évidence que cela continue de rester inaperçu.

XXXVI . Considérant ce qui est commun, le juste est le même pour tous, car c’est quelque chose d’utile dans la communauté mutuelle des hommes ; mais considérant la particularité du pays et toutes les autres causes que l’on veut, il ne s’ensuit pas que la même chose soit juste pour tous.

XXXVII . Ce qui confirme son utilité dans les us de la communauté mutuelle des hommes, parmi les choses tenues pour légalement justes, vient occuper la place du juste, que ce soit la même chose pour tous ou non. Mais si on l’établit seulement, sans se conformer à ce qui est utile à la communauté mutuelle des hommes, cela n’a plus la nature du juste. Et même si c’est l’utile conforme au juste qui vient d’en changer, du moment qu’il s’accorde un temps à la prénotion, il n’en était pas moins juste pendant ce temps-là, pour ceux qui ne se troublent pas eux-mêmes avec des formules vides, mais regardent le plus possible les réalités.

XXXVIII . Là où, sans que des circonstances extérieures nouvelles soient apparues, dans les actions mêmes, ce qui avait été institué comme juste ne s’adaptait pas à la prénotion, cela n’était pas juste ; en revanche, là où, à la suite de circonstances nouvelles, les mêmes choses établies comme justes n’avaient plus d’utilité, alors, dans ce cas, ces choses avaient été justes, lorsqu’elles étaient utiles à la communauté des concitoyens entre eux, et ultérieurement ne l’étaient plus, lorsqu’elles n’avaient pas d’utilité.

XXXIX . Celui qui a le mieux aménagé le manque de confiance causé par ce qui est au-dehors, celui-là s’est fait un allié de ce qui pouvait l’être, et de ce qui ne pouvait pas l’être, il n’a pas fait du moins un ennemi. Mais ce sur quoi il n’avait même pas ce pouvoir, il ne s’en est pas mêlé, et il a lutté pour tout ce à propos de quoi il lui était utile de le faire.

XL . Tous ceux qui ont pu se pourvoir de la force de la confiance, surtout grâce à leurs proches, ont ainsi aussi vécu les uns avec les autres, avec le plus de plaisir, le mode de vie le plus ferme, puisqu’ils avaient la certitude ; et comme ils en avaient retiré la plus pleine des familiarités, ils ne se sont pas lamentés, comme par pitié, sur la disparition.