Camus : Entre la mère et la justice Par Bélaïd Abane

05/01/2010

Au moment où Nicolas Sarkozy, président de la République française, non sans quelques arrière-pensées politiques pour les prochaines échéances électorales (régionales de 2010 et présidentielles de 2012), s’apprête à faire entrer l’écrivain Albert Camus au Panthéon, imitant en cela son prédécesseur Jacques Chirac, qui honora durant ses mandats André Malraux et Alexandre Dumas, il paraît utile pour nous Algériens de revisiter la « pensée » de cet écrivain pied-noir qui a assisté, bouche cousue, ou à tout le moins avec une certaine désinvolture, au martyre du peuple algérien.

Colonialiste de bonne volonté ?
Une phrase de Kateb Yacine, au demeurant pleine d’indulgence à l’égard de l’écrivain pied-noir, résume à elle seule la place qui est faite aux « indigènes » dans l’œuvre de Camus : « Je préfère un écrivain comme Faulkner qui est parfois raciste mais dont l’un des héros est un Noir, à un Camus qui affiche des opinions anticolonialistes (sic) alors que les Algériens sont absents de son œuvre et que pour lui l’Algérie c’est Tipaza, un paysage… » Concernant la revendication de liberté et d’indépendance de l’Algérie, le summum du délire camusien est atteint dans L’Express en 1958. « Il faut considérer la revendication d’indépendance nationale algérienne en partie comme une des manifestations de ce nouvel impérialisme arabe dont l’Egypte, présumant de ses forces, prétend prendre la tête et que, pour le moment, la Russie utilise à des fins de stratégie anti-occidentale. » Même s’il ne fait que traduire la propagande du bloc colonialiste en périphrases ampoulées auxquelles il a habitué ses lecteurs, Camus fit preuve d’un aveuglement incurable tant sont patents et insupportables la misère et l’écrasement du peuple algérien.
La lutte nationale arrivée à maturité n’avait nul besoin de cette « main étrangère » derrière laquelle se camoufle l’establishment colonial pour occulter un siècle d’abaissement subi sans relâche par les Algériens non sans de nombreuses tentatives de résistance. « L’impérialisme arabe… I’Egypte présumant de ses forces » ! Du bla-bla proféré moins de deux ans après l’offensive de l’impérialisme franco-britannique, réel celui-là, et la déroute égyptienne devant l’agression israélienne. « Colonialiste de bonne volonté », disait de lui le philosophe Raymond Aron ! Colonialiste, certainement. De bonne volonté ? Même pas, comme nous allons le voir. Le plus sardonique est cependant dans la littérature camusienne, qui regorge de poncifs et de clichés racistes. Les livres d’Albert Camus, qui en sont subtilement imprégnés, ont contribué à les propager de manière insoupçonnée. Il est temps de le souligner, l’œuvre de Camus est trempée dans le déni et le mépris colonial envers les indigènes.

Ainsi, dans La peste, « les Arabes » ne sont jamais nommés. Dans L’Etranger, ils apparaissent sous la caricature de « l’Arabe fourbe », « sans densité et sans famille » , une lame effilée à la main. Comme des ombres floues et menaçantes dans L’Exil et le Royaume. Dans la femme adultère (L’Exil et le Royaume), Camus évoque les « piétinements incompréhensibles » des « Arabes ». Narrant les tribulations de Janine, son héroïne, dans le Sud algérien, il écrit : « Elle s’arrêta, perçut un bruit d’élytres et derrière les lumières qui grossissaient, vit enfin d’énormes burnous sous lesquels étincelaient des roues fragiles de bicyclettes. Les burnous la frôlèrent… » L’écrivain pied-noir a incontestablement participé à la fabrication de cette imagerie réductrice et caricaturale de « l’Arabe », et a l’incrustation dans l’imaginaire du Français métropolitain de ces représentations coloniales dévalorisantes ou négatives qui résistent encore à l’usure du temps : l’indigène, tantôt burnous ou djellaba en toile de fond, tantôt individu impénétrable et louche, toujours potentiellement dangereux. Il y a pire que le mépris et le déni, la « bestialisation ».
Dans la bouche du colon qu’indispose la promiscuité, les indigènes « pullulent ». « Le langage du colon quand il parle du colonisé, écrit Fanon dans les Damnés de la terre, est